Article de Caroline Boudet dans Médiapart le 29 novembre 2021, lien vers l’article en entier, en voici un extrait :
Ils et elles se battent contre les clichés sur le handicap, pour la fermeture des institutions spécialisées et pour démontrer que, loin de la charité et du médical, le handicap est une question politique. Rencontre avec ces nouvelles militantes et militants, très actifs sur les réseaux sociaux.
« Tu te dis que ça doit être (trop) dur de vivre en tant que handicapé·e, genre tu pries pour ne (surtout) jamais l’être ? Tu admires le courage quasi héroïque des handicapé·e·s ? Tu te rassures avec le Téléthon. […] Tu hésites à savoir si un·e handicapé·e est ultra-débile ou hypra-intelligent·e ? […] Le validisme, ça te concerne. »
C’est avec cette cinglante série de questions que le terme de « validisme » est entré, en 2004, dans le vocabulaire des militants français des droits des personnes handicapées, sous la plume de l’activiste Zig Blanquer, dans un texte intitulé La culture du valide occidental. Aujourd’hui, la secrétaire d’État « chargée des personnes handicapées », Sophie Cluzel, rejette toujours le terme. Pas question de le laisser prospérer. Mais de plus en plus de militantes et de militants se démènent pour l’imposer.
Ils caractérisent le validisme ainsi : « La conviction de la part des personnes valides que leur absence de handicap et/ou leur bonne santé leur confère une position plus enviable et même supérieure à celle des personnes handicapées », selon le manifeste du Collectif lutte et handicaps pour l’égalité et l’émancipation, le CLHEE. (Voir ici notre entretien avec l’une de ses fondatrices.)
Cécile Morin en est la porte-parole. Cette doctorante, chercheuse en histoire, a rencontré « très tardivement » dans son parcours la notion de validisme, en lisant Zig Blanquer, justement : « Je l’ai vécu comme une espèce d’émancipation très forte et la sortie de la solitude de ma condition sociale » liée au handicap.
Malgré ses études en sciences sociales, Cécile Morin souligne n’avoir jamais auparavant pu trouver « dans les ouvrages la pensée critique, les outils d’analyse pour penser ce qu’il m’arrivait ». Ce qui lui arrivait ? Être « une anomalie de [ma] génération, en ayant fait des études longues alors que j’étais destinée à vivre en institution, comme tous ceux de mon âge ».
Également membre du CHLEE, Elena Chamorro précise d’emblée qu’elle était valide au moment où elle est arrivée en France à 22 ans, dans le cadre du programme Erasmus : « Si j’avais été handicapée enfant, j’aurais été certainement renvoyée vers l’enseignement spécialisé et n’aurais jamais pu faire d’études universitaires. » Aujourd’hui, cette enseignante en histoire à l’université dit « n’avoir de cesse d’explorer le concept [de validisme – ndlr] et de se réjouir de son potentiel subversif et émancipateur ».
Subversif, le validisme ? La notion permet, aux yeux de celles et ceux qui la portent, de renverser un ordre des choses qui serait « naturellement » établi : à la vision médicale d’un handicap qu’il faudrait « réparer » se substitue celle du handicap comme construction sociale. « La domination des personnes handicapées n’est pas une donnée biologique, elle est construite socialement », résume Charlotte Puiseux, psychologue et docteure en philosophie, militante au sein du collectif handiféministe Les Dévalideuses.
Ces réflexions sont issues des disability studies, champ d’étude né dans les pays anglo-saxons de la volonté des personnes handicapées de lutter pour leurs droits individuels. La discipline n’a pas d’équivalent en France, en raison, notamment, des différences d’organisation à l’université. « Ici, on parle par matières (la philo, la socio, l’anthropologie…) alors que dans les pays anglo-saxons, ce sont les sujets qui sont mis en avant (feminist studies, gender studies...), explique Charlotte Puiseux. Malgré tout, les disability studies commencent à être étudiées en France, en sociologie, en anthropologie. »
Pourquoi ne pas parler de handiphobie ? « Tout comme la négrophobie n’est qu’une des expressions que peut prendre le racisme, la handiphobie n’est que l’une des formes que peut prendre le validisme, répond Elena Chamorro. La handiphobie est l’expression du rejet, du mépris et de la répulsion pour les personnes handicapées ; ce serait plutôt une conséquence du validisme. Alors que celui-ci est une idéologie qui conduit à une hiérarchie des corps mais aussi un système d’oppression. »
Ce validisme se vit au quotidien, dans les relations avec les autres. Elena Chamorro se souvient : « Après l’accident à la suite duquel je suis devenue handicapée, j’ai très vite eu affaire à ce que j’ai été capable de qualifier par la suite de “validisme attitudinal”. Il s’exprimait de diverses façons : de la secrétaire qui, au boulot, au lieu de me serrer la main comme auparavant, me passait la main dans les cheveux, au collègue qui me suggérait de me payer les services d’un prostitué pour pratiquer le sexe avec ce nouveau corps. »