Nous ne sommes pas des « dommages collatéraux »

Puisque le livre « Me Before You » (Avant Toi) [ https://clhee.org/2016/06/22/avant-toi-ce-sera-sans-nous/ ] est devenu un best seller, puis un film avec des acteurs célèbres. Pour rappel, il s’agit de l’histoire d’un trader de la City qui devient tétraplégique à la suite d’un accident, qui a TOUT ce dont il pourrait avoir besoin (des aides, un véhicule aménagé; il voyage, il sort… il a même un château!) Il rencontre l’amour mais, finalement, comme il est handicapé, tout ce qu’il veut, c’est se tuer…
Puisque les campagnes de prévention de la Sécurité Routière nous suggèrent qu’il vaut bien mieux mourir d’un accident que devenir handicapé… Nous vous avons pourtant expliqué le problème. [ https://clhee.org/2016/06/17/rebelotte-la-securite-routiere-remet-ca/ ] Le handicap ne saurait être autre chose qu’une tragédie. 
Puisque le tri des patients du Covid19 a été normalisé. « On » a décidé qu’il était normal de ne pas soigner une personne handicapée ou âgée… 
GET OUT OF OUR WAY ! « Hors de notre chemin », comme le dit Adolf Ratzka dans la bande annonce de Defiant Lives. [ https://clhee.org/2018/09/04/defiant-lives/
Nous exigeons que la voix des personnes handicapées ou malades soit entendue, soit primordiale dans ces discussions sur le suicide assisté et l’euthanasie.

Les directives anticipées

En France, toute personne majeure peut rédiger ou faire rédiger ses directives anticipées. Une personne majeure sous tutelle devra cependant passer par un juge ou son « conseil de famille » afin de valider ces directives. En revanche, au Canada,  le « suicide assisté »  peut s’appliquer aux mineurs et aux personnes institutionnalisées.  En France, les détails et limites de ces directives sont indiquées sur ce site : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32010
Il est recommandé de communiquer ses directives anticipées à ses proches et à son médecin et, le cas échéant, dans son espace santé. Elles s’appliquent en cas d’accident ou de maladie mais pas en cas d’urgence vitale sans évaluation complète de votre situation par des médecins. Ainsi, en cas d’arrêt cardiaque lors de votre vie quotidienne, vous pouvez être réanimé par un passant ou un ambulancier mais si votre état se dégrade ou que vous ne vous réveillez pas une fois à l’hôpital, ce sont vos directives qui seront appliquées. 
Vous pouvez à tout moment modifier ou supprimer vos directives anticipées. 
Interrogé par France 3, le médecin qui a participé à la fin de vie de Vincent Lambert, précise « ça ne sert à rien de modifier les droits si les patients ne les connaissent pas et s’ils ne s’en servent pas ». ( https://france3-regions.francetvinfo.fr/grand-est/marne/reims/fin-de-vie-je-n-ai-pas-besoin-de-la-loi-si-un-jour-j-ai-besoin-de-liberer-un-patient-d-une-souffrance-temoigne-le-medecin-de-vincent-lambert-2746286.html )
Il est donc nécessaire que  nous nous approprions en responsabilité et de façon avertie notre  fin de vie. 

La fin de vie

La loi Kouchner garantit l’accès aux soins palliatifs. Tout patient, y compris en phase terminale, doit se voir proposer des soins visant à soulager sa douleur et à assurer le bon fonctionnement de ses fonctions vitales. La loi Leonetti, en plus des directives anticipées, fixe également des limites dans « l’obstination de soins » chez un patient en fin de vie. 
Même en l’absence de directives anticipées, la sédation profonde, évitant au patient de ressentir la douleur et d’être conscient, est possible quand la maladie résiste à tout traitement et que le pronostic vital est engagé à court terme. Face à la peur d’une lente agonie, il existe donc des solutions déjà appliquées en France.

Un accès en danger (difficulté d’accès aux soins et à la vie autonome)

D’après le rapport de la députée Caroline Fiat en 2018, l’accès réel aux soins palliatifs est en danger. Le manque de moyens, le manque de bras, mettent en péril la qualité des soins. Ce que nous ne comprenons pas, c’est comment elle peut utiliser cet argument pour pousser un projet de loi en faveur de l’euthanasie ou du suicide assisté.
Faute de moyens, la solution serait donc d’achever les patients d’une balle dans la nuque tel un chien de chasse boiteux ?  Fiat n’est-elle pas la même députée de LFI qui voulait restreindre l’accès aux téléconsultations ? Ce qui aurait directement impacté la prise en charge des personnes les plus privées de soin, en désert médical, ou ayant des difficultés à se déplacer, ou à accéder aux soins en raison du non respect des normes d’accessibilité. En d’autres termes la même député qui contribue à rendre l’accès aux soins plus difficile essaie de faciliter l’accès à l’euthanasie. Que se passera-t-il lorsque l’accès au suicide assisté sera plus court facile/ rapide que l’accès aux centres antidouleur par exemple ?
Mandat après mandat, de gauche ou de droite, l’hôpital a été dépouillé de ses moyens, de ses soignants, de ses lits. Les étudiants en médecine ou en soins infirmiers sont harcelés, découragés, victimes de conditions de travail insupportables dès leur premier stage. C’est dans ce contexte qu’est annoncé un manque d’effectifs, comme si c’était un coup de malchance.
Ne laissons pas les députés nous convaincre que nous avons besoin d’accélérer notre mort. Nous méritons des soins corrects, des soignants formés qui ont eu la possibilité de se reposer, des hôpitaux équipés. Une fin de vie plus éthique ne saurait se mettre en place dans un contexte de sur-occupation des hôpitaux et d’épuisement des soignants. Les soins palliatifs nécessitent de nombreux examens, un suivi attentif, des moyens réels. Sans tout cela, les patients euthanasiés deviennent des dommages collatéraux du sous-financement des hôpitaux. 
Le traitement médiatique du sujet est, par ailleurs, validiste et tendancieux . Dans un article de Médiapart, ce qui est retenu du discours d’une personne qui a la maladie de Charcot est : « Je ne peux ni bouger ni marcher, c’est une souffrance psychologique énorme ». Dans la presse comme dans les films, le discours des personnes handicapées suicidaires est surreprésenté et expliqué par le seul handicap de la personne et nullement par les conditions d’existence. 
Qu’en est-il des autres malades en phase terminale ou en souffrance ?  De celles et ceux qui veulent vivre ? Qu’est-ce qu’on leur propose ? Tant qu’il ne sera  pas possible pour les personnes handicapées d’avoir accès aux mêmes droits que les personnes non-handicapées (c’est-à-dire un accès à  des logements, à des services communautaires, à des ressources, à de l’aide humaine à hauteur des besoins…), il n’est pas pensable de leur proposer le suicide comme solution aux manquements des droits humains générés par notre société. 
Fin 2022, une convention citoyenne « fin de vie » (plus de détails dans cet article dédié ad hoc) avec un rôle consultatif a été créée dont nous dénonçons d’une part la composition (il est à noter  l’absence de représentation des personnes handicapées ou malades chroniques), et d’autre part ses conclusions, qui ne répondent en rien aux problématiques soulevées précédemment.

Conclusion

Nous demandons que les lois actuelles soient mieux appliquées et mieux connues par tous et toutes. Nous affirmons qu’il n’est pas nécessaire de prévoir des aides à mourir que ce soit pour le suicide assisté ou l’euthanasie. 
En tout état de cause, si de telles dispositions devaient être mises en œuvre, nous demandons que le suicide assisté ne soit pas autorisé au seul motif d’un certain état de santé ou d’une condition médicale ; en effet, cet argument reviendrait à établir une hiérarchie entre les vies et à affirmer que certaines vies ne vaudraient pas la peine d’être vécues, ce qui est une vision validiste.
Si l’état de santé (sur le papier) était un motif suffisant pour demander à mourir, pourquoi les médecins en gériatrie, en oncologie, etc. ne reçoivent-ils pas automatiquement des demande de suicides ? Pourquoi orienter ces soins vers l’euthanasie plutôt que vers de meilleures conditions de (fin de) vie, dans des hôpitaux actuellement en sous-effectif et sous-financement par choix politique ?
Quelle est l’intention réelle d’un gouvernement qui détruit l’hôpital public, qui laisse des organismes privés maltraiter les pensionnaires d’EHPAD, qui donne aux personnes handicapées tout juste les moyens de survivre mais qui pousse à autoriser l’euthanasie ?