Ne vous en déplaise, Madame Blanc

Article de Elena Chamorro, membre du CLHEE sur son blog de mediapart

[Rediffusion] Plusieurs médias se sont fait l’écho des propos validistes tenus par Françoise Blanc, conseillère du 6ème arrondissement de Lyon du groupe « Droite, Centre et Indépendants » lors du Conseil municipal du 18 novembre dernier. Au-delà des positions individuelles, cet épisode lamentable permet de cliver deux approches.

Françoise Blanc remplace temporairement  à la tête du groupe L.R. Étienne Blanc, contraint d’en quitter la présidence  pour avoir tenu, lui, des propos négationnistes sur le traitement  des juifs sous le régime de Vichy.

Madame Blanc prend la parole ( 2h 8’) [1] pour faire un compte rendu de la dernière réunion de la commission communale d’accessibilité. Elle croit opportun de faire au préalable « un peu d’histoire » du handicap et de mettre en avant que la célèbre Cour de miracles regroupe en son temps :

« tout ce que Paris compte de handicapés, de misérables, ceux dont les traumatismes se gomment comme par miracle à la nuit tombée ».

 Elle étaye son propos par une citation d’auteur « l’illustre Victor Hugo » :

« (…) le boiteux marchait droit, (le paralytique dansait), l’aveugle voyait, le sourd entendait, les vieillards même étaient rajeunis »

 Du bref rappel historique de Madame Blanc, nous retenons d’une part l’objectification des populations désignées à tort comme handicapées (cela relève de l’anachronisme), objectification qui s’exprime par l’emploi de la locution « tout ce que ».  Nous retenons, d’autre part, la volonté de Madame Blanc de souligner la simulation du handicap, un  préjugé  qui  a la vie dure, comme tout préjugé, et qui fonde toujours à l’heure actuelle la relation des administrations publiques avec les personnes handicapées, largement basée sur la suspicion et le contrôle.

Son allocution se poursuit par l’éloge de Jacques Chirac, qu’elle qualifie de père des lois handicap et qui aurait œuvré pour une société plus accueillante à tous. En réalité, ces lois ont surtout organisé la ségrégation des personnes handicapées  dans notre pays, un fait que le comité des droits des personnes handicapées des Nations Unies, dans son rapport sur la France, vient  récemment de condamner [2].

Après huit minutes d’introduction hors sujet, Madame Blanc aborde enfin le rapport de la commission communale d’accessibilité. L’élue commence par  critiquer la présence de deux associations  au sein de cette commission « La ville à vélo » et « La maison à vélo ». Leur participation est jugée malvenue du fait que « les fauteuils roulants ne peuvent avoir un déplacement convenable, que les malentendants n’entendent pas le signal du passage au feu tricolore…».

J’ai écouté l’intervention de Madame Blanc avec une camarade aveugle et, si je n’ai pas du tout ri d’avoir été de nouveau réifiée, car désignée comme « le fauteuil roulant », j’ai franchement explosé de rire lorsque ma camarade m’a fait remarquer à juste titre que les feux sonores sont destinés aux aveugles. Ce n’est pas donc bien grave si les malentendant.e.s ne les entendent pas puisque les malentendant.e.s voient très bien, en général, les feux tricolores.

Madame Blanc poursuit sa critique au sujet de la présence d’associations de cyclistes au sein d’une commission d’accessibilité et, là, l’ineptie cède le pas à l’injure. Ironisant sur le fait que pour  la municipalité, je suppose,  la promotion du vélo reste majeure et ce, quel que soit le degré de handicap, l’élue, ébauchant le sourire de satisfaction de celle qui croit  détenir l’argument massue, prononce ces mots :

« Je n’avais pas saisi que l’on allait pouvoir faire pédaler un pied-bot ou un cul-de-jatte ».

Madame Blanc fait tout d’abord  preuve d’une ignorance crasse sur les possibilités de faire du vélo qui s’offrent aux personnes dont la mobilité est réduite, y compris aux personnes  paraplégiques, tétraplégiques ou amputées.

Par le choix de construction de sa phrase : « on allait pouvoir faire pédaler », elle montre ensuite quelle est sa perception des personnes handicapées motrices : des personnes  dénuées d’agentivité et des personnes essentialisées car désignées au moyen d’un substantif qui les réduit, voire qui caricature,  leur « déficience »: cul-de-jatte et pied-bot. La façon dont elle les désigne est des plus insultantes. Pour rappel, l’appellation « cul-de jatte » proviendrait  de la ressemblance entre la forme de l’extrémité du corps d’une personne amputée des deux jambes  et celle du récipient,  la jatte.

Nouvelle objectification, donc, humour oppressif, méprisant… dont le silence de la salle condamne l’expression. Cependant, Madame Blanc n’en démord pas. Au silence gênée de la salle,  répond le rire gras de Françoise Blanc qui  conclut :

 «  Trêve de plaisanterie. Ne vous en déplaise, il me convient de l’exprimer ».

Sous un vernis de  prétendue politesse qu’une prosodie et un langage  affectés ne sauraient rendre crédible, cette dame nous dit en réalité ( traduisons-là, dans un soucis de rendre accessible ses paroles à tous) :

« Je vous emmerde, je dis ce qui me chante ».

Françoise Blanc finit son allocution, en rappelant que le handicap ne concerne pas que la sphère de la motricité. C’est aussi, dit-elle, le handicap mental. C’est pourquoi elle souhaite que la commission d’accessibilité se saisisse de la question de l’écriture inclusive. Il est utile d’évoquer à ce propos un billet écrit par un collectif de chercheuses [3] et militantes concernées par le handicap qui dénonce la récupération du handicap par les personnes qui s’opposent à l’écriture inclusive. Ces chercheuses demandent aux personnes non concernées de cesser de brandir l’argument de la cécité, de la dyslexie ou de la dyspraxie (des handicaps cognitifs, poke Madame Blanc) pour justifier leur position.

Enfin, dans un mouvement d’oppression bienveillante, François Blanc finit sa leçon magistrale de validisme  sur ces mots :

« Favorisons l’inclusion dans la ville de ces êtres que l’on dit et que l’on sait être différents mais qui méritent tout notre respect ».

Une différence ontologique, d’après Françoise Blanc. Une différence qui n’est pas à questionner.

D’autres élu.e.s s’expriment après l’élue de droite. À 3’22, Audrey Hénocque, première adjointe au maire de Lyon, directement concernée par le handicap, demande la parole à celui-ci. Elle s’adresse, visiblement émue, à Françoise Blanc, lui explique que ses propos relèvent du validisme, qui est la domination des personnes valides envers les personnes handicapées.

Audrey Hénocque condamne la vision du handicap de Françoise Blanc, qui est celle de l’approche médicale (également pointée du doigt dans le rapport de l’ONU sus-mentionné). Elle se dit choquée par l’objectification des personnes handicapées dans le discours de l’élue de la droite et par le fait qu’elle désigne des personnes handicapées comme « ces êtres ». Elle se dit choquée aussi par l’emploi du terme « cul-de-jatte ».

 Dans le but de faire de la pédagogie sur la similitude des mécanismes d’oppression et non pas, à mon sens, de comparer des termes dont les connotations et l’histoire sont  différentes, Audrey Hénocque explique qu’il est aussi grave d’utiliser des termes validistes que d’utiliser certains termes racistes que Madame Blanc n’aurait pas osé utiliser dans le cadre d’un conseil municipal.

La première adjointe au maire finit son intervention en proposant que la municipalité lyonnaise  organise une journée consacrée au validisme, une discrimination qui doit susciter la même attention de la part des élu.e.s, dit-elle, que  le sexisme, le racisme…

La salle se lève, applaudit.

 Madame Blanc redemande la parole, s’adresse à Audrey Hénocque et lui exprime ses regrets pour avoir tenu des propos qui ont pu susciter quelque chose qui ait pu la choquer. Bien que Madame Blanc semble mettre sur le compte d’une susceptibilité particulière de Madame Hénocque sa réaction face aux propos tenus, cela aurait pu à peu près bien se finir si l’affaire s’était arrêté là. Tel n’a pas été le cas. Madame Blanc enchaîne,  explique qu’elle est « très liée au milieu du handicap ».( Le coup de l’ami handicapé, vous connaissez ? ) et ajoute :

«  Les propos que j’ai prononcés ne choquent absolument pas dans ce milieu ».

Audrey Hénocque est définitivement trop sensible.

 Dans le « milieu » de Madame Blanc, on appelle les personnes amputées « cul-de jatte « et on désigne des personnes handicapées par le syntagme « ces êtres ».  Force est donc de constater que Madame Blanc fréquente un milieu du handicap validiste et on voit même aisément de quel milieu elle veut parler. Faisant preuve d’une incapacité notoire à se remettre en question, Françoise Blanc propose à son tour, une « sensibilisation » à l’autisme qu’elle qualifie au passage-nouvelle bourde-de handicap mental.

Elle présente de nouveau des excuses  non sans rappeler qu’elle a passé plus de quarante  ans dans le social, à être dans l’écoute. Elle se dit blessée à son tour par les mots d’Audrey Hénocque (l’offenseur offensé, on connaît aussi).

 « Je pense que je ne les mérite pas », conclut-elle.

Comme tant de personnes  qui font de l’humour sur les minorisé.e.s, à savoir de l’humour  raciste, sexiste, homophobe, validiste, transphobe etc, Madame Blanc n’accepte pas qu’on lui rabatte la caquet  et tient à son humour oppressif : « on ne peut plus rien dire ! Elle est où la liberté d’expression ? »( ça vous parle certainement aussi).

Madame Hénocque  qui, en tant que concernée par le handicap, devine quel peut être le milieu dans lequel évolue Madame Blanc, conclut sur l’intérêt d’avoir un débat sur les différentes visions du handicap : l’approche médicale,  provenant souvent d’ associations de parents, d’associations gestionnaires d’établissement versus la vision des concerné.e.s eux-mêmes, dont une grande majorité considère le handicap comme construction sociale et  prône une approche basée sur les droits de l’homme. Grégory Doucet, maire de Lyon, acquiesce.

Les personnes concernée.es, ne vous en déplaise, Madame Blanc, viendront s’exprimer elles-mêmes sur l’oppression validiste  si la municipalité de Lyon  va jusqu’au bout de son intention  d’organiser une journée dédiée au sujet .

Au-delà des positions individuelles de Madame Blanc et de Madame Hénocque  au sujet du handicap cet épisode lamentable permet de cliver aussi deux autres approches : d’une part une vision passéiste, une approche médicale et charitable du handicap, dont la droite a fait sa spécialité, et d’autre part,  une conscience émergente venant de certains élu.e.s de la gauche qui semblent commencer à entrevoir ce que doit être une vision de gauche vis-à-vis de cette question.

photo ancienne en noir et blanc avec un tandem, le cycliste arrière n'a pas de bras, le cycliste avant n'a pas de jambes

[1] https://www.youtube.com/watch?v=P5yKU9xeslU

[2] https://www.handicap.fr/static/informations/pdf-docs/rapport_onu_handicap_francais.pdf

[3] https://efigies-ateliers.hypotheses.org/5274