Ce texte a été initialement publié sur le site du collectif Questions de Classe(s)
Nono est enseignant. Il exerce comme coordonnateur ULIS dans un lycée professionnel.
La scolarisation des élèves en situation de handicap est souvent remise en question : manque de moyens, déni supposé des familles, scolarisation estimée impossible à l’école, appel aux institutions spécialisées… Des échanges virulents entre enseignant.e.s et parents sur Twitter m’avaient incité à faire un fil sur le sujet: voici une version sous forme d’article.
La défense d’un service public d’éducation ne passera jamais par l’exclusion de quelques un.e.s, quels qu’en soient les motifs. Celleux qui partagent cette idée trouveront peut-être ici des arguments.
D’abord, nous manquons cruellement de moyens et c’est le point d’accord de toustes celleux qui travaillent ou fréquentent l’école publique. Ce peut donc être un point de convergence entre usager.e.s et travailleur.euse.s du service public. Il est complètement con de faire des familles nos adversaires! Transformer des parents inquiets pour l’école et l’avenir de leur marmot.te en ennemis intimes, c’est se tirer une balle dans le pied! Ce sont des alliés dans la quête de moyens: on devrait essayer de converger ! Nos conditions de travail sont les conditions d’apprentissage de nos élèves. Les manques de moyens pour compenser le handicap des élèves pourrissent notre travail mais il faut avoir conscience qu’ils détruisent les perspectives d’avenir de nos élèves handicapés.
Ensuite, il faut se poser la question de la façon de récupérer ces moyens qui sont des droits accordés aux personnes handicapées et que notre institution leur dénie. Comme nous sommes agent.e.s de cette institution, nous sommes associé.e.s au problème qu’on le veuille ou non. Commencer par se désolidariser de notre institution : s’opposer aux coupes budgétaires décidées en haut lieu & qui ruissellent sur nous comme du guano. Toute réforme actuelle a comme seul objectif la réduction des dépenses publiques et la constitution de nouveaux marchés privés.
Vous allez me dire que j’ai perdu le fil alors je reviens aux élèves handicapés. Ces manques de moyens s’inscrivent dans cette volonté d’économie et de privatisation de tout partout. Sauf que ces moyens sont rattachés aux élèves handicapé.e.s & pas à leur classe ou leur école. Qu’est-ce que ça change? Quand il n’y pas assez de chaises ou de tables dans une classe (en France en 2022 ça arrive), personne n’a l’idée de renvoyer les deux élèves qui sont assis par terre. On fait du démerdentiel comme on peut et on va gueuler à la mairie ou au rectorat. Quand un.e enseignant.e est absent.e à l’école, nous accueillons dans d’autres classes ses élèves. Alors pourquoi, quand ce qu’il manque c’est du mobilier adapté, un ordinateur ou une aide humaine (AESH) pour un élève handicapé, il n’y a pas cette solidarité habituelle ?
Je pense que c’est parce que ces manques sont attachés à l’élève handi et pas à la communauté éducative. Si l’élève disparaît de l’école (chez lui, à l’IME ou ailleurs, peu importe), alors les manques aussi disparaissent. A l’inverse, si ces carences étaient vécues comme des manques pour l’ensemble de la communauté, nous ferions comme pour les manques budgétaires globaux : organiser une solidarité tout en nous mobilisant pour exiger des moyens à hauteur des besoins.
C’est là où les moyens pour les élèves handicapés ne peuvent pas conditionner leur scolarisation. Cette stratégie est celle de notre minable institution qui laisse des élèves souffrir afin qu’ils abandonnent l’école pour la déscolarisation à domicile ou en institution. Alors que les moyens existent : le budget de fonctionnement des institutions est énorme. Si les IME ferment, les moyens humains et matériels pourraient être utilisés pour faciliter l’accès à l’école, aux clubs de sport, aux infrastructures publiques & privées,… Ce gouvernement conserve les institutions pour personnes handicapées malgré les demandes répétées de l’ONU parce que l’État a offert un immense marché tenu par quelques associations gestionnaires (APF, ADAPEI, LADAPT, AFG, ALGED,…). Il soutient ces institutions bien plus qu’il ne soutient l’école pour les élèves en situation de handicap. Fermer les institutions obligerait l’État à penser le handicap comme sujet politique et non plus comme sujet strictement médical sous-traité au secteur médico-social. La compétition capitaliste a besoin de ces lieux de privation de liberté où ranger celleux perçu.e.s improductifs/ives. On peut discuter nuance toute la sainte journée mais : vouloir exclure d’une structure commune à tous et toutes (l’école) une catégorie de personne sur la base d’un handicap, c’est de la discrimination. C’en est même la définition littérale.
Aussi, il y aurait une frontière précise entre les personnes valides et les personnes handicapées permettant aux valides de bien se distinguer. C’est illusoire et excluant. Combien de collègues handicapé.e.s ou malades se cachent car ils ont entendu des propos discriminants voir eugénistes au sein notre corporation ?
L’exclusion d’élèves handicapés se répercute sur l’ensemble des élèves, des parents et des personnels : difficultés cachées ou niées, rapport au handicap trop compliqué pou faire des démarches, refus d’aménagements pour éviter les stigmatisations, démissions, santé précaire… Notre société a fait l’impasse sur la question du handicap pendant des années. La pensée politique sur le sujet est nulle en France, en dehors du travail de personnes concernées militantes. La gauche merde à chaque fois qu’elle essaie et notre corporation n’a pas su se positionner convenablement sur le sujet.
Nous avons encore des allié.e.s même si nous avons sacrément cogné dessus. Ne faisons pas ruisseler la violence institutionnelle que nous subissons sur les élèves et leurs familles. Allions-nous à elleux pour retourner la violence sur ceux qui la produisent !
Je termine sur le sujet du niveau scolaire : Il faut interroger plus largement notre rapport aux évaluations qui sont devenues la pierre angulaire de notre système scolaire. C’est problématique. Pendant que l’on passe des tests et des évaluations, on apprend rien du tout.
Nous avons aussi complètement transformé des outils utiles (stades de développement de l’enfant, âge moyen d’acquisition de la marche, de la parole ou de la lecture) en outils de tri social. En France, si tu n’apprends pas à lire au CP, c’est que t’as forcément un souci. L’école ne peut pas être l’antichambre du marché du travail où c’est la compétition de toustes contre toustes. Cela ne bénéficie qu’à une catégorie d’élèves qui se retrouvent en tête de classe, non par mérite mais par connaissance et maîtrise du système scolaire. Le classement PISA, souvent cité pour critiquer notre système scolaire (largement critiquable), est un outil libéral pour mettre les gosses des différents pays en concurrence sur le marché international des savoirs. Pas sûr que ce soit une compétition saine à organiser pour des enfants. Si nous acceptons de jouer ce jeu, nous sommes les instruments d’un tri social classiste, raciste et validiste qui devient évident en fin de scolarité secondaire : les élèves de milieux populaires, racisés et/ou handicapés, sont massivement orientés en lycée professionnel.
Concernant les élèves handicapé.e.s, la question du niveau scolaire ou de la capacité à suivre le rythme sont mobilisés pour remettre en question leur place à l’école. Je ne vois pas comment une rupture de scolarisation pourrait améliorer des capacités, bien au contraire. Il faut accepter qu’existe dans une même classe des élèves lecteurices et d’autres qui utilisent des livres audio, certain.e.s avec un langage adapté, d’autres mutiques ou avec une communication empêchée, des élèves qui comptent jusqu’à 10 & d’autres qui abordent les fonctions.
Si nous sommes si réfractaires à la scolarisation de ces élèves handicapé.e.s, c’est parce que nous avons été dans cette école de la compétition toxique où le validisme est intégré. Ayons le courage d’abolir ce système où beaucoup trop d’élèves souffrent et ont souffert pour rien!
Pour résumer, une posture politique et militante cohérente pourrait être :
– étape 1: tout le monde à l’école!
– étape 2: les manques de moyens pèsent sur toute la communauté scolaire.
– étape 3: convergence & lutte de tous les personnels avec les familles et les usager.e.s de l’école.
– étape 4: le rapport de force est en notre faveur, en haut ils plient.
– étape 5: on construit avec tous les élèves et leurs familles l’école de demain!
Voici l’état de ma réflexion sur le sujet. Je ne suis plus élève, pas parent d’élève ni handicapé. J’ai mes biais de prof fonctionnaire et des remarques ou des corrections seront toujours utiles. Merci d’avoir lu !