Par Noémie Aulombard
Pour moi, la liberté a toujours un prix : la peur, et avec elle, la solitude. Oui, on se sent esseulé dans la peur – comme dans la douleur d’ailleurs. Malgré ce prix, j’ai toujours voulu faire le choix de la liberté, bien que je sache que, par certains côtés, la liberté est plus difficile que l’enfermement. Je me souviens m’être fait cette réflexion la première fois, lorsque j’ai visité, pour les besoins d’un reportage radiophonique, un Etablissement pour Enfants et Adolescents Polyhandicapés. Je me suis alors dit que mon quotidien aurait sans doute été plus facile en institution. Après tout, pas de souci d’inaccessibilité, pas de regards à supporter, pas de lutte : l’intérieur est reposant, plus facile… mais le chant des sirènes de la facilité s’est vite tu, lorsque j’ai pensé que mon avenir se serait tracé sans moi : je l’aurais subi plus que vécu. Mieux vaut la difficulté de la liberté que la facilité de l’enfermement. Je livre ici un des principes fondamentaux, à l’origine de la plupart de mes agissements.
Cependant, la liberté est difficile ; la peur est la plus fidèle de ses compagnes. Depuis toute petite, je le sais. Les séances de rééducation, trois fois par semaine, me l’ont enseignée. Quand il m’était demandé de marcher seule, d’enjamber des obstacles sans soutien, j’étais terrorisée. Vraiment. J’émettais des petits gémissements apeurés, j’étais parfois à deux doigts de pleurer. J’avais peur de tomber, peur de m’assommer, comme cela m’est arrivé tant de fois… mais au bout d’un moment, ainsi debout, paralysée de peur, je réussissais souvent à avancer à nouveau ou à passer la jambe de l’autre côté de l’obstacle (bon, parfois, je me cédais à moi-même et me laissais choir lamentablement sur le sol, pour retrouver au plus vite la confortable position assise). Très tôt, j’ai compris que rechercher la liberté consistait à sortir de soi ; et que cette sortie de soi pouvait parfois ressembler à un arrachement souffreteux contre le mouvement vers l’intérieur de la peur.
En moi, le chant des sirènes m’attire toujours vers l’inertie et le statu quo. Peut-être que c’est trop pour toi de marcher, de danser, de sortir seule ? Peut-être que c’est trop pour toi d’aller au collège ? Peut-être que c’est trop pour toi d’aller en prépa ? Peut-être que c’est trop pour toi, ces vacances à Cazilhac, à Toulouse, à Paris, à Madrid, à Bruxelles, à Amsterdam ? Peut-être que c’est trop pour toi de quitter tes parents et d’aller vivre seule à Lyon ? Peut-être que c’est trop pour toi, ce voyage au Canada ? Après tout, tu n’es que ça, tu n’es que toi ! Grande folle ! Petite irréaliste ! Au lieu de vouloir avoir l’illusion que tu es libre, reste ici. C’est si confortable, si reposant, de demeurer là où on a toujours été. Pourquoi toujours choisir l’inconfort de la liberté ?
Pourquoi ? Parce qu’un médecin a voulu décider de mon avenir. Parce que des directrices d’école et de lycée ont voulu que je n’aie pas d’avenir. Parce qu’aujourd’hui, un médecin veut que je choisisse entre mon travail et ma santé. Parce que, de ce fait, je sais que ma liberté est sans cesse menacée ; j’apprends donc à veiller jalousement sur elle.
Pourquoi ? Parce que la liberté, c’est l’inconfort du présent, c’est une fatigue momentanée, une peur à aménager. Mais c’est aussi un avenir qui se construit, la solide affirmation d’une existence agissante.
P.S:
Cet article été publié initialement, le 8 avril 2017, sur le blog de Noémie Aulombard : A mon geste défendant.