Contre l’Assistance sexuelle pour les personnes handicapées
Récemment, à l’occasion de la mise en place de la première formation d’assistant sexuel en France par l’association l’APPAS et de la sortie du film « Indésirables », le débat sur l’Assistance Sexuelle a été relancé, suscitant l’intérêt des médias.
S’il ne fait aucun doute que la vie affective et sexuelle des personnes handicapées est un sujet important, toutes les personnes concernées par le handicap sont loin d’être convaincues que l’assistance sexuelle est la meilleure réponse à leurs difficultés.
Au contraire, certains, comme nous, sont fondamentalement opposés à la mise en place d’un tel système auquel semblent pourtant souscrire beaucoup d’associations de personnes handicapées
I – Vie affective et sexuelle des personnes handicapées : des difficultés réelles et multiples
Il est vrai que de nombreuses personnes handicapées rencontrent des difficultés pour accéder à une vie affective et sexuelle du fait de certaines limites physiques et/ou psychiques.
Toutefois, il serait réducteur de croire que ces limitations fonctionnelles suffisent à elles seules à expliquer les obstacles rencontrés. En effet, les multiples barrières sociales qui nous mettent à l’écart de la cité jouent un rôle majeur dans ces difficultés.
Ainsi, il faut rappeler, d’une part, que la plupart des lieux potentiels de rencontre classiques, (bars, universités, restaurants, les lieux de loisirs) sont trop souvent impossibles à fréquenter car inaccessibles et/ou inadaptés.
D’autre part, que de nombreuses personnes handicapées vivent encore dans un milieu institutionnel qui restreint leurs libertés et leurs possibilités de rencontres.
A cette exclusion spatiale et sociale s’ajoutent des représentations stigmatisantes, notamment s’agissant de notre vie affective et sexuelle.
D’une façon générale, les personnes handicapées sont associées à tout ce que notre société abhorre et attache au malheur : la laideur, la dépendance, la maladie (voire dans le pire des cas la contagion).
Sur le plan sexuel, elles sont souvent envisagées comme asexuées ou impuissantes et, en tout état de cause, incapables de donner du plaisir, de vivre ou de partager une sexualité réussie ou épanouissante.
Les personnes handicapées vivent donc dans une société qui leur renvoie une image profondément dégradée d’elles mêmes et qui refuse de les envisager comme des partenaires sexuels potentiels et banals, et ce, tout handicap confondu.
De plus, leur vie affective et sexuelle est peu ou mal représentée dans les médias. Les couples de personnes handicapées ou mixtes sont, par exemple, quasiment absents et quand ils sont visibles, c’est le plus souvent pour les présenter comme des phénomènes rares ou incompréhensibles.
En plus de ces préjugés propres au handicap, les personnes handicapées subissent les stéréotypes d’ordre général sur la sexualité et les clichés liés à la féminité et à la virilité.
De cette façon, il est communément admis que le sexe est essentiel à l’épanouissement et que l’épanouissement sexuel est lié au physique ou à la santé.
Il est également convenu que la « virginité » est honteuse, qu’une personne belle, selon les critères esthétiques dominants, est considérée comme forcément performante sexuellement, que pour être beau et désirable, il faut répondre aux critères de beauté édictés par les médias qui raisonnent en termes d’âge, poids, taille, proportions idéales, mais aussi que le sexe est une performance qui s’analyse en termes de durée, de fréquence, de nombre d’orgasmes, et qu’il signifie forcément pénétration.
Autant de présupposés normalisants systématiquement véhiculés par les médias, la publicité, la pornographie qui ont des répercussions directes sur les personnes handicapées dont la sexualité ne peut trouver de place dans un cadre aussi étriqué.
Considérés comme repoussants ou désagréables, la seule réponse possible à nos difficultés serait selon certains l’assistant sexuel…
II – L’assistance sexuelle : une mauvaise réponse fondée sur des idées erronées
1- A titre préalable, il est assez surprenant de relever qu’à ce jour, l’assistance sexuelle demeure une proposition assez floue de la part des défenseurs quant à ses modalités pratiques de mise en œuvre.
En effet, de nombreuses questions se posent sans vraiment trouver de réponse.
Tout d’abord, en admettant qu’un tel système voit légalement le jour, qui en seraient les bénéficiaires ? Uniquement les personnes ayant un handicap physique ? Seulement ceux qui ne peuvent pas accéder à leur corps ou d’autres ? Quels seraient les critères ?
Si l’assistance sexuelle est ouverte à toute personne handicapée qui en fait la demande, y compris celles qui peuvent accéder à leur corps et se masturber seules, qu’est-ce qui justifierait qu’elle ne soit pas ouverte à d’autres personnes en souffrance sur le plan sexuel pour d’autres raisons que le handicap ?
L’insatisfaction sexuelle n’est pas réservée aux personnes handicapées et beaucoup de personnes dites valides pourraient, pour des raisons diverses, revendiquer une telle assistance.
Ensuite, jusqu’où iraient les assistants sexuels ? Peau à peau, massages, caresses, stimulation manuelle, utilisation de sex-toys ou pénétration ? Serait-ce une prestation sexuelle ou juste une forme d’érotisme tarifé ?
Enfin, les assistants sexuels prendront-ils en compte toutes les orientations et pratiques sexuelles des personnes handicapées bénéficiaires ?
2- Tout aussi problématique, l’assistance sexuelle semble supposer que les personnes handicapées seraient un groupe homogène avec une sexualité spécifique auquel elle serait la plus apte à répondre.
Or, il est plutôt douteux de parler « d’une sexualité des personnes handicapées » puisque, à l’instar des personnes valides, nous sommes tous différents et nos attentes sexuelles sont aussi diverses que variées.
3- L’assistance sexuelle est de surcroît amplement associée aux soins dont elle serait une sorte de prolongement.
Cette présentation des plus contestable sous-entend que la relation sexuelle avec une personne handicapée serait presque aseptisée et clinique. Elle s’inscrit dans une approche médicale et passéiste de la personne handicapée, occultant la dimension sociale qui fait obstacle à l’accès des personnes handicapées à une vie sexuelle.
Elle prétend également que les personnes valides, candidates à l’assistance sexuelle, doivent être formées spécialement pour avoir des rapports sexuels avec une personne handicapée, ce qui n’a absolument aucun sens.
Les gestes nécessaires au positionnement ou au déshabillage pour avoir des relations sexuelles n’ont rien de spécifique et de différent de ceux pratiqués par la plupart des auxiliaires de vie de personnes handicapées. Ils pourraient donc parfaitement relever de l’aide humaine classique pour ceux qui en auraient besoin et non pas de l’assistance sexuelle.
Qui plus est, la plupart des personnes handicapées physiques peuvent expliquer ces gestes à leur partenaire.
4- Par ailleurs, les liens entre assistance et sexuelle et prostitution sont évidents et soulèvent aussi de nombreuses interrogations.
De deux choses l’une :
– Soit l’assistance sexuelle serait payante et dans ce cas, elle ne serait qu’une « spécialité » au sein d’une « activité » qui existe déjà : la prostitution.
Il s’agirait en fait d’une prostitution adaptée, et même valorisante, presque rédemptrice car s’adressant à un public considéré comme particulièrement « indésirable », « intouchable », totalement rejeté sans cette solution.
Tout comme la prostitution, le système s’adresserait d’abord et avant tout aux hommes. Si nous ne nions pas qu’une demande féminine existerait probablement, elle serait résiduelle, comme pour la prostitution.
Les hommes handicapés qui appellent à l’instauration de l’assistance sexuelle font d’ailleurs le même raisonnement que les clients de prostitués : leurs (supposés) besoins sont irrépressibles et vitaux. Il doit y avoir un système leur permettant d’utiliser des femmes ou des hommes pour satisfaire ce besoin.
La plupart des femmes ou des hommes qui seront amenés à pratiquer l’assistance sexuelle le feront aussi pour les mêmes raisons que dans la prostitution classique, à savoir la contrainte économique.
Les bénéficiaires, majoritairement des hommes handicapés, auront donc « accès » aux femmes et aux hommes les plus précaires.
L’assistance sexuelle serait dès lors un système misogyne et archaïque de marchandisation du corps supplémentaire, mais considéré comme acceptable, qui demanderait de surcroît à être reconnu légalement et à titre exceptionnel.
Sur ce point, il faut noter que les défenseurs de l’assistance sexuelle envisageraient de demander qu’elle soit financée au titre de la prestation destinée à compenser les difficultés liées au handicap (PCH).
Nous ne pouvons souscrire à une telle idée car si le sexe est un désir, une liberté, ce n’est pas un droit. S’il venait un jour à être reconnu, il vaudrait pour tout le monde et pas seulement pour les personnes handicapées.
– Soit l’assistance sexuelle serait gratuite, ou rémunérée à titre symbolique, ce qui équivaudrait à une quasi gratuité.
Dans ce cas, il s’agirait d’un acte de charité, de bienfaisance. Les volontaires seraient persuadés de faire une bonne action qui les grandirait. Ils seraient prêts au « sacrifice suprême ».
Se poserait alors la question de la sélection et de la motivation des volontaires : si ce n’est pas pour gagner de l’argent, comment éviter que des personnes qui s’engageraient dans une formation d’assistant sexuel ne le fassent dans le seul but d’utiliser des personnes handicapées comme objets de leurs fantasmes sexuels ?
Certaines personnes mal dans leur propre sexualité pourraient chercher à se rassurer à travers nous. Ce qui n’a rien de valorisant et pourrait s’avérer dangereux…
Compte-tenu de tous ces éléments, nous considérons que nous sommes légitimes à nous inquiéter de la mise en place d’un tel système. S’il venait à s’imposer, il aurait de toute évidence un impact qui irait bien au delà de ses « usagers » ou « clients ».
Il est, en effet, à craindre que toutes les personnes handicapées qui évoqueront le désir de trouver un partenaire soient renvoyées vers l’assistance sexuelle, devenue la voie d’accès « adaptée. »
L’assistance sexuelle confortera inévitablement l’idée qu’un rapport affectif ou sexuel entre valides et personnes handicapées n’est pas « normal ».
Une fois de plus, il s’agira donc d’une réponse stigmatisante aux difficultés des personnes handicapées, qui ne fera qu’aggraver leur exclusion.
Elle ne permettra pas aux personnes concernées de reprendre confiance en elles mais les enfermera dans une sexualité de seconde zone, les renverra encore à la marge et à l’étrangeté, comme le font déjà les sites spécialisés et les agences de rencontres existants, réservés aux personnes handicapées ou à ceux qui veulent rencontrer exclusivement des personnes handicapées.
Conclusion
L’assistance sexuelle ne constitue pas une véritable réponse aux problèmes posés. Elle ne propose qu’une solution simpliste et conformiste qui permet de ne pas remettre en question le système de valeurs et les représentations en vigueur au sein de notre société, qui limite les possibilités d’avoir accès à une véritable sexualité.
L’assistance sexuelle ne va ni dans le sens de l’émancipation et de l’autonomie des personnes handicapées ni de leur libération sur un plan sexuel.
Si elle prétend proposer une vision avant-gardiste de la personne handicapée, force est de constater qu’elle s’inscrit à la fois dans la logique économique libérale qui fait de la sexualité un service commercial, dont elle nous propose d’être consommateurs, et dans une vision judéo-chrétienne qui place encore une fois la personne handicapée en objet de charité.
Elle place aussi l’accompagnant dans une situation à mi-chemin entre le prostitué et le bienfaiteur.
La sexualité devrait pourtant être libre et non marchande, impliquer de la réciprocité dans le désir et un échange égalitaire. Une réciprocité qui ne peut exister ni dans le rapport marchand ni dans le rapport caritatif.
A ceux qui soutiendraient que, faute de mieux, l’assistance sexuelle pourrait être mise en place comme une solution provisoire, nous répondons que le risque est trop grand qu’elle ne devienne la seule et unique réponse aux éventuelles difficultés des personnes handicapées.
A notre sens, pour améliorer les choses efficacement et durablement, mieux vaudrait :
Abolir la ségrégation sociale et spatiale que subissent les personnes handicapées, en s’engageant notamment dans la désinstitutionnalisation.
Favoriser l’éducation sexuelle sans tabou dès le plus jeune âge, notamment pour les personnes handicapées elles-mêmes afin qu’elles puissent reprendre confiance en elles et se concevoir comme des partenaires à part entière.
Déconstruire et réinventer les représentations du sexe, du handicap, des femmes et des hommes.
Développer les solutions techniques existantes qui pourraient aider les personnes handicapées dans leur sexualité.
Pour finir, nous affirmons avec force qu’il n’y a rien d’humaniste à entretenir une relation affective ou sexuelle avec l’un d’entre nous. Nous sommes désirables, nous sommes des partenaires potentiels à part entière, au même titre que les autres.
Elena CHAMORRO, enseignante, Mathilde FUCHS, militante associative, Lény MARQUES, blogueur, Elisa ROJAS, avocate.
Ce texte a été publié sur le blog des invités de Médiapart dans une version raccourcie (par nos soins) le 30 avril 2015 :
Il a également été publié dans l’Humanité dans son édition du week-end du 15, 16 et 17 mai 2015 :
http://www.humanite.fr/nous-ne-sommes-pas-des-indesirables-574043