Plusieurs articles ont été récemment écrits sur Mediapart concernant le handicap. S’ils ont permis de visibiliser en partie les discriminations et les violences qui nous sont faites, des remarques s’avèrent nécessaires quant au traitement médiatique réservé à ce sujet par les rédactions.
Lorsqu’il ne se heurte pas dans les médias à un silence généralisé en cohérence avec le mépris et le désintérêt profond qui lui est porté, le sujet du handicap est condamné à tomber irrémédiablement dans différents écueils auxquels nous nous sommes depuis longtemps habitué.e.s. Il est rare que ce sujet dépasse le niveau du vulgaire commentaire traversé de méconnaissance si ce n’est pour basculer dans la lecture schématisée d’un rapport social axé sur une charité condescendante ou pour servir de relais passif au récit gouvernemental. L’écueil absolu étant pour les journalistes de se contenter d’accueillir comme des vérités et sans contradiction l’écrasante parole des proches et les discours misérabilistes imposés par les associations gestionnaires.
La parole des personnes concernées, quant à elle, est en général assignée au registre mineur du témoignage et du récit individuel, mobilisée uniquement lorsqu’elle n’est pas critique. Quand elle n’est pas purement ignorée d’emblée, elle est évincée, en particulier celle des militant.e.s antivalidistes.
Les violences physiques, psychiques, sexuelles, familiales, conjugales et institutionnelles qui nous sont faites sont traitées, quand elles le sont, comme s’il s’agissait de faits divers, d’exceptions, ou sont attribuées à des dysfonctionnements malheureux. S’élèvent alors toujours les mêmes cris de stupeur associés à l’éternelle redécouverte des violences validistes qui fondent notre quotidien, les mêmes instrumentalisations politiques opportunistes, les mêmes récupérations cyniques au profit des mêmes associations gestionnaires.
Cette fausse naïveté, cette redécouverte toujours renouvelée des violences que nous subissons ne sont que l’expression d’un déni profond et d’une indifférence générale et dangereuse qui permettent à celles-ci de se répéter en toute impunité. Par ce traitement stéréotypé du sujet, le système d’oppression et d’exclusion validiste qui sous-tend ces violences et sur lequel il conviendrait d’ouvrir le débat, est purement éclipsé. Passer sous silence qu’il s’agit de validisme, c’est refuser de reconnaître que les préjugés, les discriminations et les violences qui en sont l’expression sont parties prenantes d’un système de domination qui sera laissé intact faute d’une prise de conscience effective.
Pareil traitement médiatique du handicap et des violences validistes en dit long sur la méconnaissance du sujet et l’ignorance des outils pourtant nécessaires à l’analyse de tout rapport de domination. L’absence de mobilisation d’outils d’analyse critique suggère que le simple bon sens suffirait à lui seul pour parler de handicap, comme si ce sujet était apolitique et que les questions qu’il pose pouvaient trouver des réponses tout à fait transpartisanes et consensuelles. Refuser de saisir ainsi le caractère systémique de l’oppression validiste quand pourtant toutes les statistiques le démontrent, se limiter à l’emploi d’un registre compassionnel et moral, écarter les savoirs militants et minorer le discours anti-validiste participent à dépolitiser la question du handicap et à dissimuler les rapports de force qui la traversent.
Se satisfaire d’une lecture partielle, simplifiée et réductrice telle qu’elle est réservée dans les médias aux discriminations et aux violences qui ressortissent du validisme est une violence en soi. Cela ne revient jamais qu’à rester à la surface quand il faudrait pourtant se donner les moyens de comprendre le fonctionnement complexe du validisme, depuis le validisme d’État jusqu’à ses expressions les plus diffuses dans la vie courante. Autrement dit, révéler comment sont entretenues les structures politiques et sociales qui confortent notre oppression et notre ségrégation sociale pour enfin s’attaquer avec sérieux au renversement d’un système de domination brutal.
Dans son dossier Mediapart n’a pas échappé aux écueils. Que les violences racistes, handiphobes et le validisme institutionnel supportés par Julie* aient pu être abordés tout au long de l’article qui lui a été consacré sans qu’ils ne soient qualifiés en tant que tels est un parfait exemple du défaut d’analyse que nous dénonçons. Nommer les violences eût été un minimum. En taisant ces mots, non seulement les oppressions dont il s’agit sont dépolitisées mais leur intersectionnalité reste de l’ordre de l’impensé.
La façon humiliante dont le personnel du service médical de Paris Descartes a traité Julie et les propos violents qui ont été tenus l’accusant de simuler son handicap ne sont pas sans rappeler, quant à eux, les maltraitances médicales racistes justifiées par le » syndrome Méditerranéen « . Les préjugés racistes allant jusqu’à l’invention de ce justificatif pseudo-médical pour mieux nier la douleur des personnes racisées, en particulier des femmes, les laissant en souffrance, sans soin, en errance diagnostic ou enfermées dans des diagnostics erronés. Cette mise en doute est dans une moindre mesure aussi exprimée à l’égard des personnes handicapées blanches, mais les qualificatifs déshumanisants employés comme celui de « sauvage » sont explicites de racisme.
Dans les articles dédiés à la scolarité des enfants handicapé.es, il est très problématique et discutable que soit abordée, sans le dire, la question des institutions spécialisées d’un côté, et de l’autre celle de l’échec organisé de la scolarité en milieu ordinaire sans même parler de la désinstitutionalisation alors que la France s’y est engagée. La politique délibérée de pénurie de moyens humains et financiers en matière d’accompagnement des élèves handicapé.es en milieu ordinaire est instrumentalisée par le gouvernement et les associations gestionnaires pour renforcer et légitimer le régime de placement des enfants en institutions, institutionnalisation parfaitement contraire au droit international et dénoncée par l’ONU
Bien que la scolarité en milieu ordinaire soit théoriquement garantie par la loi de 2005, attribuer les moyens nécessaires pour financer la désinstitutionnalisation – à savoir des AESH individualisé.e.s, formé.e.s, rémunéré.e.s à hauteur du travail indispensable accompli, des heures d’accompagnement quantifiées selon les besoins réels, la formation des enseignant.e.s, l’accessibilité des lieux d’enseignements – pour permettre à chaque élève handicapé.e d’accéder à celle-ci dans des conditions favorables n’a jamais été un vrai projet politique, encore moins pour ce gouvernement. Face à l’hypocrisie et au désengagement de l’État devant ses obligations, enfants et étudiant∙es handicapé∙es doivent se battre, inégalement armés selon le capital social et culturel de leurs parents, pour affronter les obstacles administratifs et financiers ainsi que le validisme institutionnel, de façon à éviter le placement en institutions ou l’abandon.
L’absence de fond et le manque d’appui théorique de ces articles ne peut qu’interpeller surtout lorsque est occulté, pour mieux sombrer dans le stéréotype, le rapport de référence rendu mi-septembre par le Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU s’alarmant de ce que le cadre législatif français et les politiques publiques violent les droits énoncés dans la Convention internationale des droits des personnes handicapées. Ce rapport relève de graves atteintes aux droits des personnes handicapées parmi les plus fondamentaux, révélant l’ampleur des violences du validisme d’Etat dénoncées par les militant.e.s anti-validistes.
Que dans un dossier consacré au handicap soient tues les réclamations de l’ONU sur la désinstitutionnalisation alors qu’il s’agit d’accuser le manque de places en institutions sans y opposer aucune contradiction, sans s’inquiéter de ce que ces institutions participent de notre ségrégation sociale dès l’enfance et sont des lieux de privation de liberté multipliant les risques de violences physiques, psychiques et sexuelles, est un parti pris qui n’est pas sans conséquence. Alors que le rapport de l’ONU devrait s’imposer comme la grille de lecture principale et que les savoirs militants anti-validistes devraient être reconnus et convoqués, ils sont ignorés. Consciente ou non, cette ignorance participe à donner du crédit à la propagande gouvernementale validiste, qui depuis la publication du rapport de l’ONU n’a de cesse, comme les associations gestionnaires dont le rôle complice a été clairement dénoncé, de le passer sous silence ou d’en déformer le sens par des déclarations mensongères.
Peut-être faudrait-il que la rédaction de Mediapart interroge sérieusement ses propres biais validistes pour en arriver à produire au sujet du handicap des articles sans épaisseur théorique, aussi superficiels et sans analyse critique solide quand nous connaissons pourtant l’intransigeance dont ses journalistes sont capables pour critiquer la politique libérale du gouvernement.
Act Up-Paris, le CLE Autistes, le CLHEE, les Dévalideuses, Handi-Social, Objectif Autonomie
– Pour consulter le rapport de l’ONU du 14 septembre 2021
– Sur l’état des luttes anti-validistes:
– Sur la critique des institutions spécialisées:
– Pour dénoncer la complicité des associations gestionnaires avec le validisme d’Etat: