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Les rares amendements adoptés par l’Assemblée Nationale en première lecture des projets de loi Soins Palliatifs et Aide à mourir ne répondent pas aux critiques des associations anti-validistes. Et dans les médias comme sur les réseaux sociaux, le débat s’est focalisé sur des échanges d’idées reçues plutôt que sur les conditions matérielles d’existence des personnes malades, âgées, ou handicapées en France, qui sont les premières concernées par ces lois.
Le projet de loi « fin de vie » est devenu un projet de loi « aide à mourir » qui ne cible pas spécifiquement la fin de vie, dont le cadre est très large, et qui ne contient pas assez de barrières contre les dérives. Il ouvre un droit à l’euthanasie et au suicide assisté pour la plupart des personnes malades chroniques et/ou handicapées, tout en criminalisant la prévention du suicide pour ces mêmes personnes avec le délit d’entrave. Les tentatives de mieux encadrer l’aide à mourir ont été rejetées par la majorité.
Le projet de loi « soins palliatifs » n’est qu’une liste de promesses sans budget ni augmentation des effectifs. Tout comme la loi handicap de 2005, c’est un plan décennal, or la loi handicap n’est toujours pas appliquée aujourd’hui. En théorie, l’accès aux soins palliatifs est un droit depuis 1999, mais aujourd’hui, seul 50 % des patients qui en ont besoin y ont accès. Quant aux centres de la douleur, leur liste d’attente peut durer jusqu’à 2 ans.
La France préfère l’institutionnalisation à l’autonomie, et n’applique pas les recommandations de l’ONU en la matière. Par conséquent, la « volonté libre et éclairée » des demandeurs d’aide à mourir sera entachée de manque d’accès aux soins, à l’autonomie, et au logement
Soins Palliatifs
Le premier volet sur les soins palliatifs ne change rien aux problèmes budgétaires subits par ce secteur. Il ne parle en chiffre que pour fixer un plafond du taux de certaines taxes pouvant être allouées aux soins palliatif. Il ne revient pas sur le financement des hôpitaux, la tarification à l’acte, les moyens alloués au secteur médico-social. Il créé un poste de bénévole, et promet des formations. Toutefois, les soignants en demande de moyens humains et matériels vont devoir continuer de bricoler du soin dans des hôpitaux ruinés. Et les professionnels de l’accompagnement et soin palliatif vont devoir continuer de s’appuyer sur le bénévolat.
Alors quel changement apporte cette nouvelle loi ? La notion de « droit opposable » à l’accès aux soins palliatifs. Donc le droit de faire des recours et des procédures pour faire respecter ce droit. Comment une personne gravement malade pourra-t-elle se lancer dans de telles procédures ? Il y a un autre « droit opposable » en France, celui au logement. Pourtant les sans-abris ne sont toujours pas logés.
Cette loi a aussi rédigé un plan décennal pour la mise en place des soins palliatifs. Si vous êtes militant pour l’anti-validisme, cela devrait être familier : la loi Handicap de 2005 était aussi un plan décennal, c’était il y a deux décennies, et elle n’est toujours pas appliquée ni applicable. Le CLHEE a justement été fondé pour refuser le report de son application de 10 années supplémentaires.
Bien que la loi pointe du doigt les inégalités territoriale, elle ne donne qu’une promesse de les résoudre, mais sans les moyens qui devraient aller avec. La SFAP a pourtant tenté d’instruire les députés sur les réalités du terrain des professionnels et bénévoles de l’accompagnement et des soins palliatifs.
Actuellement, environ 50 % des patients en besoin de soins palliatifs n’y ont pas accès. Théoriquement, l’accès aux soins palliatifs est pourtant « garanti » à tous les français depuis la loi Kouchner de 1999. Cela commence à faire beaucoup de loi non appliquées.
Aide à Mourir
Pendant des années, on nous a raconté qu’il s’agirait d’une loi très restrictive, qui permettrait de soulager des personnes mourantes, en « fin de vie », ou des personnes souhaitant se suicider mais dont l’état de santé ne leur permet pas de le faire elles-mêmes. C’est pourtant un projet très différent qui a été rédigé. D’ailleurs, rayer « fin de vie » pour ajouter « droit à l’aide à mourir » a été une des toutes premières étapes, juste là, première page. Le projet de loi Aide à Mourir incluse dans son texte non seulement l’euthanasie, mais aussi le suicide assisté, sans jamais les nommer. Ils se cachent pudiquement derrière le terme moins intimidant « aide à mourir ». Les amendements visant à ajouter les termes suicide assisté et euthanasie ont été rejetés en bloc.
Malgré son passage à l’Assemblée Nationale, le deuxième volet dédié à l’aide à mourir ne tient toujours pas ses promesses. Vous pouvez lire ici nos critiques de la première version du projet de loi approuvé en commission des affaires sociales. Elles restent valables sur la plupart des points : critères d’inclusion, délit d’entrave, prévention du suicide, insuffisance de l’accès aux traitements des douleurs…
Mais concentrons nous sur la version la plus récente.
Les conditions d’accès cumulatives continuent d’inclure une large portion de la population handicapée, que ce soit en raison de maladie, d’accident, ou de la vieillesse. Certains députés et militants ont voulu nous « rassurer » en expliquant que ce projet de loi ne concernait pas les personnes handicapées, Olivier Falorni l’a même répété à la radio sur France Info le 27 mai 2025. Mais la façon dont les conditions d’accès ont été rédigées ne donnent que l’illusion d’un cadre restreint pour les personnes n’étant pas familières de ces éléments de langage. Nous allons donc re-préciser leur sens.
« 1° Être âgée d’au moins dix-huit ans ; »
« 2° Être de nationalité française ou résider de façon stable et régulière
en France ; »
« 3° Être atteinte d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la
cause, qui engage le pronostic vital, en phase avancée, caractérisée par l’entrée
dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de
la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale ;
« 4° Présenter une souffrance physique ou psychologique constante liée
à cette affection, qui est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable
selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de
recevoir un traitement. Une souffrance psychologique seule ne peut en aucun
cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir ; »
« 5° Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. »
- « Être atteinte d’une affection grave et incurable, quelle qu’en soit la cause » Comme le rappelle la SFAP, cela va inclure la plupart des affections de longue durées, des maladies chroniques qui peuvent être traitées mais pas guéries, la plupart des personnes handicapées qui vivent avec leur handicap incurable. Et la notion « quelle qu’en soit la cause » qui a été ajoutée par amendement à la demande de l’ADMD vient inclure les état dus à un accident.
- « qui engage le pronostic vital » Comme la Haute Autorité de Santé l’a rappelé, la notion de pronostic vital n’implique pas un délai, une temporalité précise ou objective, permettant d’assurer que le patient serait en fin de vie. Elle indique simplement que l’état ou la maladie du patient menace sa survie. Quand ce n’est pas la maladie elle-même, cela peut venir, avec le temps, de comorbidités ou d’effets secondaires des traitements. C’est le cas de nombreuses pathologies chroniques et de nombreux handicaps incluant la fameuse maladie de Charcot, mais aussi la Sclérose en Plaques, la Mucoviscidose, les diabètes de type 1 et 2, la dépression bipolaire, les lésions médullaires (paraplégie, tétraplégie…), le syndrome d’Ehlers-Danlos, les myopathies…
- « en phase avancée, caractérisée par l’entrée dans un processus irréversible marqué par l’aggravation de l’état de santé de la personne malade qui affecte sa qualité de vie, ou en phase terminale » Encore une fois à la demande de la HAS, la notion « phase avancée » a été définie lors de la première lecture du texte à l’assemblée nationale. Comme vous pouvez le lire, cette « phase avancée » est très différente d’une phase « terminale ». Encore une fois il n’y a pas de délai court avant la mort naturelle du patient, les critères sont suffisamment subjectifs pour inclure la majorité de la population malade chronique et handicapée dès lors que sa maladie ou son handicap a commencé à affecter sa qualité de vie. L’apparition d’un nouveau symptôme « irréversible » ne signifie pas que le patient est mourant, mais que son handicap est définitif. Chaque personne malade ou handicapée a vu son état de santé s’aggraver, et sa qualité de vie en être affectée. D’ailleurs, ce n’est pas uniquement la maladie qui affecte la qualité de vie, mais aussi son environnement. Les médecins insuffisamment formés au modèle social du handicap ne sauront pas faire cette distinction. Et c’est par incompréhension du modèle social du handicap que les militants pour l’aide à mourir continuent de répéter que cette loi ne concerneraient pas les personnes handicapées.
- « Présenter une souffrance physique ou psychologique constante liée à cette affection » La notion de souffrance physique ou psychologique ne pourrait pas être plus subjective, et n’apporte pas de restriction aux conditions d’accès. Cependant, comme l’emploi du mot « ou » permettait d’inclure une large portion des patients psychiatrisés, une tentative de correction a été faite avec l’ajout de…
- « Une souffrance psychologique seule ne peut en aucun cas permettre de bénéficier de l’aide à mourir » Bien essayé, mais ce sera insuffisant. Les personnes psychiatrisées aussi développent des problèmes de santé physiques, et d’ailleurs, elles subissent un accès aux soins dégradés par rapport au reste de la population. Une personne suicidaire en raison d’un trouble psychologique deviendra éligible dès qu’elle développera des symptômes affectant son état physique.
- « qui [la souffrance] est soit réfractaire aux traitements, soit insupportable selon la personne lorsque celle-ci a choisi de ne pas recevoir ou d’arrêter de recevoir un traitement »Tout patient a le droit de refuser un traitement, (sauf s’il est hospitalisé en psychiatrie, mais c’est un autre sujet), et c’est bien normal. Le projet de loi Aide à Mourir va plus loin, en inscrivant dans la loi le droit d’accéder à l’Aide à Mourir à la place d’un traitement existant. Les annonces d’une loi visant les personnes qui souffrent de douleurs « réfractaires aux traitements » ont encore été des euphémismes face au texte actuel. Mais en tant que militants malades chroniques et handicapés, nous irons plus loin : les patients concernés auront-ils tous réellement « refusé » un traitement, ou seront-ils victimes d’un manque d’accès à ce traitement, d’un manque d’accès au spécialiste autorisé à le prescrire, ou même d’une pénurie ? Qui vérifiera ?
- « 5° Être apte à manifester sa volonté de façon libre et éclairée. » Celle ci, on nous l’a rabâchée, brandie tel un bouclier immuable. C’est très beau, cet idéal d’une volonté libre et éclairée. Mais ce qui serait plus beau, ce serait que le texte indique des méthodes pour vérifier cette aptitude chez le patient. Or, les députés ont refusé plusieurs fois.
- Un amendement visant à écarter les pressions financières et sociales pouvant être subies par le patient a été rejeté.
- Mais également un amendement qui aurait permit au médecin de saisir le procureur de la république en cas de doute sur la libre expression de la volonté du patient.
- L’association Un Gros Risque En Plus a milité pour exclure les porteurs de handicap intellectuels du droit à l’aide à mourir, en vain. Les amendements en ce sens ont été refusés en bloc. Pourtant, derrière cette crainte des familles se trouve un « fait divers » des plus glaçants. Un médecin d’Angoulême a pris la décision de mettre fin aux jours d’un patient atteint de trisomie 21, malgré l’absence de consentement du patient mais aussi de ses proches. Le patient, en difficultés respiratoires, était vif et animé lorsqu’il a été déposé aux urgences. Mais quelques heures plus tard, le médecin annonça « il ne passera pas la nuit ». Le temps que la famille arrive, c’était trop tard. L’homme de 61 ans était décédé non pas des suites de sa maladie, mais parce qu’il avait reçu un cocktail de médicaments auquel il ne pouvait pas possiblement survivre.
- Il y aussi eu une tentative d’amendement visant à vérifier que le patient avait eu accès aux soins palliatifs avant l’aide à mourir, mais il n’aurait pas eu être appliqué puisque le projet de loi permet au demandeur de l’aide à mourir de refuser les traitements visant à soulager sa souffrance. Peu importe le motif du refus du patient : a-t-il vraiment refusé les soins palliatifs, ou bien a-t-il refusé car il aurait du continuer de souffrir plusieurs mois avant d’y accéder ?
Le passage à l’assemblée nationale n’a pas répondu à nos autres critiques :
- Le délit d’entrave est puni deux fois plus sévèrement qu’avant, et continue d’inclure les tentatives verbales et/ou à distance de convaincre une personne de ne pas recourir à l’aide à mourir.
- Le délit d’incitation n’a toujours pas été créé.
- Les produits qui seront utilisés, leur dosage, la possibilité d’une sédation préalable, ne sont toujours pas précisés.
- Le rôle de la personne de confiance désignée par le patient reste accessoire.
- L’évaluation et le contrôle des possibles éléments de coercitions (financières, matérielles, familiales…) n’existent toujours pas dans le texte.
- Les personnes institutionnalisées continuent d’être éligibles, et l’aide à mourir peut se dérouler dans l’établissement qui les accueille. Il n’y a pas d’obligation pour l’État de donner accès à une vie autonome et un logement avant. Par conséquent l’aide à mourir pourra être appliquée à des personnes privées de liberté.
- Le contrôle par une commission reste a posteriori, donc après le décès du patient. La commission en question n’est toujours pas représentative des personnes malades, handicapées et âgées ou des personnes privées d’autonomie, institutionnalisées.
Pour conclure, les fameuses barrières et sécurités, les fameux cadres strictes autour la loi Aide à Mourir n’existent pas. En revanche, l’inclusion d’une large partie de la population peu importe qu’elle soit réellement en « fin de vie » ou non existe bien.
Désinstitutionnalisation
C’est le fameux dilemme : voudrais tu vivre en maison de retraite ?
Personne n’a envie de « finir ses jours » en maison de retraite, mais alors pourquoi la lutte pour la désinstitutionnalisation n’a-t-elle pas plus de partisans ? D’autant plus après le scandale Orpéa ? Pourquoi l’ADMD ne milite-t-elle pas pour la désinstitutionnalisation des personnes dépendantes qui refusent de mourir dans ces établissements maltraitants ? Pourquoi la seule porte de sortie ayant le soutien de l’ADMD est-elle la mort ?
Parce que les gens continuent de voir le handicap comme un problème de « santé » et non pas de société. Par conséquent ils ne comprennent pas que les personnes âgées dépendantes sont handicapées, et que la façon dont elles sont traitées a plus en commun avec le handicap qu’avec l’âge.
La France est en retard sur la désinstitutionnalisation, et tant que le « choix de vie » des personnes handicapées de tout âge sera l’institution, il n’y aura pas de « volonté libre et éclairée ». Pas plus qu’il n’y a de volonté libre et éclairée dans le choix entre une aide à mourir applicable rapidement, et des soins palliatifs potentiellement accessibles dans plusieurs années.