Par Elena Chamorro
Je suis allée voir hier soir le film Tout le monde debout. Les interviews que j’avais lues sur le film me donnaient une petite idée sur les véritables motivations de Franck Dubosc quant au choix d’une héroïne paraplégique. Mais, après visionnage, je crois pouvoir donner une réponse plus documentée à cette question et aussi à d’ autres.
Pourquoi Franck Dubosc a choisi une héroïne handicapée ?
Franck Dubosc a voulu faire une comédie romantique. Pour respecter les codes du genre, il lui fallait trouver pour son personnage de Jocelyn ( le séducteur à deux balles, machiste et misogyne), un personnage opposé, un amour avec des contraintes.
On peut imaginer que le personnage du séducteur, frimeur, qui aime exhiber sa porsche, épater avec sa piscine avec sol motorisé ne peut s’afficher qu’avec une femme « bonne », sexy, qui corresponde en tous points aux stéréotypes de la beauté. Mais là, il fallait surprendre. Alors, réfléchissons un peu. Il faut trouver une femme qui corresponde bien aux normes de beauté occidentales mais il faut aussi un truc qui cloche. Une femme, comme l’a dit A. Lamy lors d’une interview, que Jocelyn « n’aurait pas dû normalement regarder » : Ah ben tiens, v’là : il faut une handicapée ! Et comme il faut que la comédie romantique soit émouvante et emplie de bons sentiments, en prenant une handicapée on a tout de suite l’ émotion garantie, à tous les coups. Puis bon, le public aime beaucoup les personnages handicapés (je dis bien les personnages) dans les films. C’est tout bon !
Alors, Franck Dubosc vous dira qu’il a choisi un personnage handicapée parce qu’il croise des personnes handicapées dans la rue, que sa maman est en fauteuil, qu’il n’avait pas eu le « courage »( sic) de rester avec une femme en fauteuil avec qui il était sorti …. Alors, il se rattrape un peu ainsi, il faut croire. Signalons au passage qu’il n’a toujours pas eu le courage de choisir une actrice handicapée pour jouer le rôle de son héroïne handicapée
Et comment est cette héroïne ?
La surcompensation du handicap, vous connaissez le concept ? Voilà ce qui est demandé aux personnes handicapées pour être aimables et voilà ce que Franck Dubosc a cru opportun de demander à ce personnage.
Florence, le personnage d’Alexandra Lamy, est une joueuse de tennis handisport ( si vous ne voulez pas une handicapée qui foute le bourdon, il faut prendre une handisportive, ça fait tout de suite Wonder Woman). Mais en plus, Florence est féminine, cultivée, raffinée, pétillante et voilà de quoi épater Jocelyn, le beauf, et voilà de quoi en faire une femme handicapée exceptionnelle. Cette femme handicapée, en plus, non seulement a un métier mais elle a un métier valorisé et valorisant : elle est violoniste dans un orchestre. Waouw!
Franck Dubosc a peut-être cherché, là aussi, à résoudre par la fiction le validisme dont il est atteint dans la réalité car, interrogé sur Twitter au sujet de son choix de faire jouer le rôle d’une femme handicapée à une actrice valide, il répond : « actrice, c’est un métier ». Un métier pour valides, peut-être ?
Une vision juste
J’ai lu quelques critiques du film de Dubosc, plutôt favorables et surtout unanimes autour de la justesse avec laquelle le handicap est abordé. Ainsi, Guillemette Odicino de Télérama dit du film qu’il « atteste d’un regard tendre et juste sur le handicap » ou encore Jacky Bornet, dans Culturebox salue les mots de Florence qui dit qu’elle ressent le bonheur d’être aimée comme femme, sans condescendance pour son handicap. Gaël Golhen, dans Première, écrit : « si Tout le monde debout fonctionne c’est donc grâce à une certaine justesse et à une honnêteté. Vis à vis du personnage, des handicapés (jamais piétinés, ni traités avec pitié) mais également dans la réalisation ».
En regardant le film hier, je me disais justement le contraire.
Le film ne nous épargne aucun des clichés que les valides projettent sur les personnes handicapées. Cela n’est pas étonnant car le but de Franck Dubosc n’est pas de faire un film engagé ( le pourrait-il ?) mais plutôt un film grand public qui amuse le spectateur, le conforte dans ses (contestables) croyances et ne lui prenne pas le chou.
Ainsi, Florence, malgré sa position sociale, son charme, sa beauté (si tant est qu’on aime ce genre de beauté), se retrouve célibataire, rejetée par les hommes. Elle accepte Jocelyn et le mensonge à propos de son handicap-dont elle n’est pas dupe- car, en tant que femme handicapée, que peut-elle espérer, voyons ? Une relation merdique avec le bellâtre en déclin est donc bonne à prendre et vécue « comme une parenthèse de bonheur », nous dira-t-elle.
On ne peut pas nier que certaines femmes handicapées se sentent rejetées et peinent à avoir une vie sentimentale, cela est d’autant plus vrai qu’elles s’éloignent des critères de beauté normés, que leur handicap est «lourd » ou qu’elles se retrouvent enfermées en institutions mais beaucoup d’autres femmes sont en couple, avec des hommes ou des femmes parce qu’il n’y a pas que des beaufs dans la vraie vie…
Dans la comédie romantique, il faut que l’on nous serve un peu le conte de fées (pensez à Pretty woman, où la travailleuse du sexe touche le gros lot en se mariant à un riche). Là, il fallait donc le cliché de la handicapée malheureuse et rejetée qui a déjà la chance de vivre une histoire d’amour, mais pour un happy end-conte de fées, il fallait encore plus de dream : le mec reste avec elle, in-cro-ya-ble, et le mec il est va-li-de !!!
Bien entendu, pas de scène de baise explicite pour Jocelyn et Florence ( juste un pudique baiser à a la fin) car, comme vous le savez bien, la sexualité des personnes handicapées est taboue. On ne vous le répétera jamais assez. D’abord, y ont-elles droit ? A ce propos, on nous explique juste qu’ils ressentent du plaisir dans la tête (MDR). (Pour en savoir plus sur la question, tapez « Sophie Davant » sur google, vous tomberez bien sur une vidéo avec témoignage croustillant ). Bref, revenons sur l’idée qu’une meuf handicapée doit se contenter du premier con qui arrive car c’est ça ou rien. Ca fait des petits dégâts cette histoire, vous savez ? Car il y a des femmes handicapées qui arrivent à se persuader de ça et supportent même des cons qui abusent d’elles, les battent ( les femmes handicapées sont les plus touchées par les violences de genre )… mais bon, bon, on est là pour rigoler.
Permettez-moi encore une remarque sur la justesse du personnage de Florence. En tant que femme paraplégique, je scrutais la faille dans le jeu d’Alexandra Lamy. Il est évident que, physiquement, elle ne peut tromper qu’un public valide ou non-paraplégique. Ses mollets trop musclés, ses talons posés sur le cale-pied sans que sa cheville ne se torde ou son pied ne glisse, le plat tout juste sorti du four posé sur ses jambes insensibles ainsi que de nombreux autres détails ne peuvent tromper une femme paraplégique mais plus problématique encore que ces détails quand on est soi-même handicapé.e est le métier de violoniste choisi pour le personnage et la façon dont il est mis en scène. On ne demande, certes, à une comédie romantique d’être réaliste car elle vend du factice, on n’en est pas dupes, mais quand on entend dire que le handicap est abordé avec justesse, ça fait un peu bondir ( même quand on est censée être « clouée » sur son fauteuil).
Rien n’empêche à une femme paraplégique d’être violoniste, comme rien ne l’empêche d’être actrice, n’est-ce pas, Franck Dubosc ?
En revanche, je pense qu’elle aurait de la peine à se faire embaucher dans un orchestre même si elle jouait merveilleusement bien (discrimination à l’embauche, vous savez ?), qu’elle aurait du mal à suivre son orchestre en bus, non pas qu’elle n’en soit pas capable du fait de sa « « pathologie » mais parce que les bus avec plateforme et toilettes accessibles sont plus que rares, parce que les théâtres, salles de spectacles et encore plus les scènes de ceux-ci sont rarement prévus pour accueillir des musiciens en fauteuil ( ça existe, des musiciens handicapés, puis populaires ? poke, Alexandra Lamy)
Je me demande aussi, tiens, si le restaurant de Prague choisi pour le dîner « romantique » sur une terrasse en contrebas d’un bel escalier d’apparat est en réalité accessible. Je parie qu’il ne l’est pas.
Une vision drôle du handicap et des autres minorités en petites touches
La critique s’accorde aussi pour dire que le film est drôle.
Les goûts et les couleurs, hein ? En tout cas, l’association humour et handicap, qui n’a rien en soi de « couillu», contrairement à ce qu’affirme Alexandra Lamy, ni de transgressif, d’ailleurs, se fait, entre autres, par le regard que le personnage de Florence porte sur lui-même. Pour résumer, ce sont des vannes à la Vestiaires, ces vannes que beaucoup de personnes handicapées acceptent de balancer pour, encore une fois, être aimables et ne pas foutre le bourdon, ces vannes que les valides aiment que les personnes handicapées balancent pour les mettre à l’aise et que certains d’entre eux reprennent à foison à leur tour pour en devenir lourds, très lourds… Ces vannes qui leur permettent de dire que la personne a surmonté son handicap et est …une leçon de vie !
Florence est aussi joviale, « malgré le handicap »- ça va de soi- ( à mon avis, Alexandra Lamy a dû avoir très mal aux zygomatiques à force de surjouer la joie de vivre que l’on prête volontiers aux personnes handicapées puisqu’elle affichait non stop un sourire Ultra Brite).
Cela dit, évidemment, Florence, est toujours dans le regret de ne pas être valide et dans la blague sur le manque et l’incomplétude … Justesse et drôlerie, on vous dit.
Mais, rassurez-vous, amis handicapés, il y en a pas que pour nous. Il y en a un peu, par petites touches, pour tous les minorisés. Il faut quand même un peu taper sur les minorités si on veut faire une comédie franchouillarde qui se respecte. Ainsi, dans l’une des premières scènes du film, Jocelyn se rend à l’enterrement de sa mère mais il se trompe et suit celui d’une famille noire. Et qu’est-ce qui est écrit sur la gerbe ? « Wepose en paix ». Tordant, non ? La salle était morte de rire ( je vous laisse deviner quel public la composait) .
Les femmes, quant à elles, subtilement regardées au travers de l’œil du personnage de Jocelyn, ont l’habituel traitement sexiste (gros plan sur les seins, les fesses. Florence, elle, nous ressort la vanne de Patients, visiblement appréciée du beauf moyen, consistant à dire que quand tu es en fauteuil, on ne peut pas mater ton cul.
J’allais oublier le rire déclenché dans la salle lorsqu’un camarade de Florence (de petite taille), s’affiche avec une personne trans, alors là, ça se roulait par terre.
Ah, c’est bien de rire de tout à la façon « dominante ». Du grand art, ce film.
Pourquoi avoir choisi une actrice valide ?
Voilà, pour finir, une question qui a déclenché la polémique sur les réseaux sociaux et que les journalistes ont légitimement posé à Franck Dubosc et à Alexandra Lamy.
Les activistes handicapés , dont je suis, avons répondu à cette question dans de nombreux tweets, notamment sous le hashtag #ToutLeMondeSeFoutDeNous mais aussi sous forme de billet ou d’article.
Franck Dubosc a répondu sur twitter , je l’ai dit, qu’être acteur est un métier mais il a également fait remarquer aux internautes qu’il y avait des personnes handicapées dans le film. En effet, lorsque Jocelyn assiste à un match de tennis pour voir Florence jouer, il y a un malentendant à côté.
Un malentendant qui, comme le personnage sourd du film Momo, semble avoir un comportement anormal (WTF?). Agacé parce que cet homme crie « bravo » à plusieurs reprises, Jocelyn part en disant : « Tu es sourd mais pas muet ». Rires dans la salle. On sait que Jocelyn est odieux, n’est-ce pas ? On peut tout lui faire dire, c’est du deuxième degré, mais n’empêche que l’humour sexiste, raciste, validiste de Jocelyn- et de Frank Dubosc-, lui, est reçu et célébré au premier degré.
D’autres personnages, joués par des figurants réellement handicapés, sont là pour le comique de situation.
Après le match , on voit une scène où de « vrais handicapés » (gros plans sur leurs têtes) répondent aux questions affolées de Jocelyn sur la façon dont s’organisent les compétitions en handisport par rapport aux handicaps. Devinez quoi ? Ces personnages n’existent que dans son rêve. Jocelyn a fait un rêve ou dois-je dire, un cauchemar ?
Voilà ce que Franck Dubosc répond à la très stupide question d’un journaliste à propos de ces figurants :
» Le petit diable vous permet d’oser tout, comme de questionner des sportifs handicapés de haut niveau… »
« Oui, mais vous remarquerez que c’est un rêve. Cette scène me permettait d’avoir de vrais handicapés sans faire une démonstration de leur capacité. Je voulais rester pudique dans ce que je montrais, que le propos soit là sans que ce soit du voyeurisme. Ce film, c’est mon regard sur ces gens-là ( sic). »
Pour le rêve éveillé, the dream, il choisit donc une valide qu’il assoit sur un fauteuil, pour le cauchemar avec des gens qui font peur, une bande de « vrais handicapés ».
Mais ce choix n’est que pur hasard. Il aurait bien pris une actrice handicapée pour le rôle de « princesse » aussi mais comme il dit à Laurent Ruquier dans On n’est pas couché :
(..) Des Alexandra Lamy en fauteuil, je n’en ai pas trouvé, et ensuite, je veux justement montrer avec le film qu’il faut passer au-dessus du handicap. Si moi en tant que metteur en scène je me mets à chercher une personne en situation de handicap, je vais la démarche inverse de celle que je veux démontrer avec le film, » déclare Franck Dubosc devant Laurent Ruquier.
Heureusement qu’il nous a prévenus aussi qu’il a surtout fait un film sur le mensonge. Je ne sais pas vous mais moi, ça, je le crois.
P.S. Au fait, les Franck Dubosc et cie, si vous dites des conneries validistes sur les personnes handicapées, vous aurez remarqué, maintenant il y aura du monde en face pour répondre! Salut!